Vendredi 2 mai, la passerelle piétons-vélos d’Alfortville, qui enjambe la Marne entre Charenton-le-Pont et Alfortville et qui est très fréquentée par les piétons et les cyclistes – c’est le chemin de nombreux collégiens et lycéens et une importante connexion «vélotaf» vers Paris… – a été soudainement fermée par les services municipaux d’Alfortville et Charenton-le-Pont, «pour des raisons de sécurité» et «jusqu’à nouvel ordre».


Après une réaction des associations et une bronca d’usagers sur les réseaux sociaux, le journal le Parisien a pu obtenir de nos élus et aménageurs les précisions suivantes, dans son article du lundi 5 mai: « Le revêtement est lézardé par endroits et des soudures ont sauté sur certains garde-corps, ce qui montre que la partie centrale de la passerelle a bougé » a indiqué le maire d’Alfortville Luc Carvounas. Le maire de Charenton Hervé Gicquel a justifié: « Cette instabilité est nouvelle, elle n’existait pas avant » . « Des études avaient été réalisées et elles ne montraient alors aucune dangerosité » se défend également Luc Carvounas.
Monsieur Giquel nous a par la suite assuré que tous les élus concernés mettaient « tout en œuvre pour que cet ouvrage puisse être remis en fonctionnement dans les meilleurs délais« , évoquant même la possibilité qu’une prochaine expertise indépendante additionnelle puisse conclure à une possible réouverture. Nous l’espérons. Mais nous en doutons.
Les associations de mobilité alertent pourtant depuis des années sur l’état de la passerelle, par exemple en 2021. Le Parisien avait déjà relayé ces alertes. La passerelle date de 1952 ! On y pointait le vieillissement du béton, la corrosion du métal, des fissures sur le tablier et sur les piles du pont. La passerelle a été numérisée en janvier 2025 par Panoramax (une sorte de Google Streetview mais pour les usagers piétons et cyclistes, et en open data): son état de délabrement est criant. La soudaine dégradation n’est pas une surprise. Pour Alfortville, particulièrement enclavée entre la Seine, la Marne et la voie ferrée du RER, l’imprévision est particulièrement regrettable. C’était la seule voie de passage paisible sans trafic motorisé.
Une réhabilitation vaguement prévue par GPSEA
Depuis 2021, nos courriers et courriels réguliers (sur l’état de l’équipement, sur la circulation de scooters et motos malgré les interdictions, sur le stationnement intempestif à l’entrée côté Alfortville, sur la mauvaise visibilité due aux virages et arbustes côté Charenton…) n’avaient eu qu’un faible écho : quelques améliorations côté Charenton, quelques patches de goudrons appliqués ici où là sur le tablier…
Le projet d’une rénovation de cette passerelle était néanmoins apparu au plan vélo de l’intercommunalité GPSEA (dont est membre Alfortville), fin 2021: « La réhabilitation de la passerelle de Charenton consiste à rénover la structure du pont et à permettre une meilleure cohabitation entre piétons et cyclistes » (p. 99). Mais ce projet était sans estimation de budget ni désignation d’un maître d’ouvrage. Un très vague engagement, donc, tout en bas de la liste. C’est trop tard, c’est coupé.
Quel impact pour les usagers à pied et à vélo ?
L’info a vite circulé auprès des usagers. On notera que les services et élus de Charenton ont eu l’attention de signaler la déviation bien avant d’arriver à la passerelle, dès le quai des carrières. Côté Alfortville, on ne découvre la déviation qu’une fois devant… L’un de nos adhérents actifs a tout de suite mis à jour la base OpenStreetMap pour renseigner la coupure. Depuis, les sites et applications de mobilité (GoogleMaps, Géovélo, BRouter.de…) proposent des itinéraires déviés. Mais voyez comme ils sont longs et tortueux!

En 2021 nous estimions par nos comptage un trafic quotidien piétons et cyclistes entre 1000 à 2000 usagers par jour. La pratique du vélo a explosé depuis…
Notre Département traîne à partager ses données de fréquentation des aménagements cyclables malgré les promesses faites en 2023 et nos communes rechignent à compter ou à communiquer leurs comptages ; à l’inverse des collectivités modernes comme Paris, qui publie quantité d’information en données ouvertes. Malgré son annonce dans son « plan vélo », notre département traîne à faire de même. C’est donc grâce à Paris que nous pouvons estimer l’impact sur les flux cyclistes de la fermeture de la passerelle, grâce au compteur sur la voie verte quai de Bercy. La variation à J+7 de la fermeture, sur deux semaines aux profils comparables côté jours fériés, est une perte d’un quart du trafic, 650 passages cyclistes disparaissent sur l’axe, par jour en moyenne.

Ce sont des chiffres uniquement cyclistes et vers Paris, et ils sont certainement minorés vu que certains « vélotafeurs » déviés ont pu rattraper la voie verte par le pont le pont de Charenton, et se sont faits compter à l’entrée de Paris.
Itinéraires conseillés pour le vélotaf
Pour les cyclistes qui employaient la passerelle pour aller travailler vers Paris, deux possibilités principales: par Charenton en rive droite de la Seine, et par Ivry-sur-Seine, en rive gauche.
Fort heureusement, les travaux se terminent à Charenton sur la parallèle à la voie verte, la D6 nommée rue de Paris: elle sera bientôt équipée tout du long d’un aménagement rénové, sécurisé et déjà remarquable par sa réalisation: deux pistes cyclables unidirectionnelles, sur la chaussée, séparées du flux automobile par une bande de stationnement.

Mais avant de la rejoindre, les cyclistes doivent affronter le carrefour de la résistance à Maisons-Alfort, puis le pont de Charenton. Le carrefour est un enfer cyclable: 7 voies voiturables hostiles, et un trou de souris par la rue Nordling pour rejoindre le pont. On y trouve là un trottoir cyclable où piétons et cyclistes se gênent mutuellement, les feux sont courts et les automobilistes pressés de rejoindre l’autoroute A4 peuvent être dangereux. La Région espérait faire passer la ligne V6 de son réseau VIF par le carrefour directement sur la D19 vers Créteil, mais les élus maisonnais ont bloqué: véto en comité de ligne, le carrefour est durablement réservé aux voitures, aux cyclistes de se débrouiller.
L’autre déviation consiste donc à passer la Seine sur le pont d’Ivry (D19), pour rejoindre Paris via la rive gauche. On peut longer la Seine mais des travaux compliquent le passage sur le quai Auguste Deshaies (au niveau du site de Haropa Port), aussi nous préconisons de passer par l’avenue de l’industrie ou le boulevard Paul Vaillant Couturier pour rejoindre Paris.
Quand est-ce que la passerelle va rouvrir ?
Nos élus et aménageurs se voulaient rassurants dans le Parisien, le maire d’Alfortville Luc Carvounas rappelant que c’était dans les projets antérieurement. Mais vu l’état de l’équipement, la gouvernance éclatée (deux communes et deux intercommunalités de bords politiques différents), les millions d’euros de travaux nécessaires et le besoin de rechercher des financements auprès du département, de la métropole et/ou de la Région, les usagers piétons et à vélo – ceux d’Alfortville notamment – en ont au moins pour trois ans de galère, à devoir contourner et se frotter aux flux motorisés, du fait de l’imprévision de nos responsables.
Les associations appellent déjà nos aménageurs à réfléchir au mieux aux équipements et aménagements cyclables des environs. Les besoins de la ligne V6 du réseau régional appellent à multiplier les possibilités, la capillarité aux alentours, surtout si Maisons-Alfort continue de bloquer le carrefour de la Résistance. Il pourrait être envisagé de doubler la passerelle: c’est la meilleure façon de concilier les flux piétons et cyclistes que de les séparer. L’ancienne serait réservée aux piétons, une nouvelle mieux connectée à la voie verte pour les cyclistes, plus proche de l’hôtel Huatian Chinagora ? Des doubles-sens cyclables devraient être réalisés quai d’Alfortville et quai du Dr Mass à Maisons-Alfort. Les voies basses côté Charenton et Ivry notamment devraient être réaménagées, rehaussées pour éviter les submersions. Côté Ivry toujours, il faut améliorer la connexion des quais (Auguste Deshaies, Henri Pourchassé) avec le pont d’Ivry. Bref il y a de nombreuses voies d’amélioration des flux et de la qualité de vie dans son ensemble au confluent. Puisse le naufrage de la passerelle d’Alfortville en servir au moins de point de départ…

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