Dans les villes du 94, la situation est souvent décourageante pour les défenseurs du vélo. Il est donc utile de savoir que d’autres villes traitent mieux les cyclistes. Dans un article antérieur nous avons cité l’exemple de Strasbourg (janvier 2021). Aujourd’hui c’est de Chambéry que nous allons parler.
Chambéry, préfecture de la Savoie, compte environ 60 000 habitants et l’agglomération, qui agrège une trentaine de communes voisines, en compte 135 000. L’agglomération chambérienne compte à la fois des zones plates et fortement vallonnées, elle est traversée par deux autoroutes, deux voies ferrées, plusieurs cours d’eau. Le centre ancien est dense avec des rues étroites, les banlieues sont très développées avec des zones commerciales ou industrielles. Le reste du département est largement rural et montagneux. Il pleut bien davantage à Chambéry qu’en Ile-de-France. Selon l’INSEE, le revenu annuel médian des chambériens est de 23 680 euros par an en 2019, très proche de celui des Val-de-marnais (23 060 euros en 2019). Ces dernières années la ville a été gérée en alternance par la droite qui a été attentive aux attentes des automobilistes (ex. nouveaux parkings en partenariat public-privé) et par la gauche qui donne davantage la priorité aux mobilités actives et aux transports en commun. La situation géographique, politique et économique ne semble donc pas particulièrement favoriser la pratique du vélo à Chambéry. Pourtant cette ville s’est classée troisième de sa catégorie au dernier Baromètre des villes cyclables de la FUB (2021). Comment ? On vous emmène sur place pour comprendre ….
Une priorité effective aux mobilités douces, même en banlieue
Le centre ancien de Chambéry, large d’un petit kilomètre, est une zone à priorité piétonne très affirmée, où les cyclistes sont tolérés à condition de rouler doucement. La majorité de ses rues, qui étaient ouvertes à la circulation et au stationnement, ont été réaménagées en zones 20 au cours des dernières décennies. Quelques artères du centre restent ouvertes à la circulation générale mais en zone 30 (rue de Boigne, rue Favre, rue du Chateau). En parallèle à la réduction du nombre de places de stationnement dans le centre, plusieurs parkings payants ont été construits à la périphérie immédiate du centre ancien.

Hors du centre ancien les intersections principales sont très souvent traitées en zone 20 avec plateaux surélevés dont le revêtement est différencié : les piétons y sont prioritaires. Les cyclistes y sont aussi protégés par le ralentissement des véhicules motorisés et par l’enlèvement des obstacles à la visibilité. Les ronds-points sont souvent traités avec un anneau cyclable, le cycliste n’ayant toutefois pas la priorité sur les véhicules motorisés. Des panneaux « M12 » (autorisation conditionnelle de franchissement pour cycles, on les désigne aussi comme « cédez-le-passage-cyclistes ») sont installés par endroits aux feux pour fluidifier le trafic vélo.

Les aménagements cyclables forment un réseau assez continu, dont l’épine dorsale est la véloroute 63 (V63) qui traverse l’agglomération du Nord au Sud. Tracée dans les années 1990, la V63 est à la fois continue et assez directe, car elle franchit astucieusement les autoroutes, voies ferrées et cours d’eau traversés. La V63 permet de se rendre du centre de Chambéry au lac du Bourget vers le Nord ou vers les vignobles d’Apremont ou Chignin vers le Sud en étant protégé sur la quasi-totalité du trajet. Dans Chambéry la V63 est une piste cyclable et dans les agglomérations plus éloignées c’est une voie verte.


Des pistes cyclables et bandes cyclables protègent les cyclistes sur plusieurs axes de l’agglomération, y compris ceux qui desservent les zones d’activité commerciale et industrielle très développées au Nord de l’agglomération (Bissy, La Motte Servoleix, Voglans..). L’ensemble des aménagements forme un réseau suffisamment continu et signalé pour que le cycliste se sente pris en charge et relativement protégé.

Quand on se déplace à pied ou à vélo dans Chambéry, on ne peut qu’être frappé par le respect dont font preuve la grande majorité des conducteurs vis-à-vis des usagers vulnérables. Une voiture freine avant que le piéton soit engagé sur un passage protégé : c’est ici la règle, et non l’exception comme en Ile-de-France. Il est aussi fréquent qu’une voiture sortant d’un rond-point cède le passage au cycliste engagé dans l’anneau alors que ce dernier n’a pas la priorité.

La ville de Chambéry et la communauté d’agglomération ont implanté divers types de services à destination des cyclistes réguliers ou de passage. En particulier, il existe une boutique intégrée à la gare SNCF de Chambéry – Challes-les-Eaux, la Vélostation, qui assure diverses prestations : locations de vélos classiques ou électriques à prix modéré, distribution du plan du réseau cyclable, gonflage, vélo-taxi à assistance électrique, consigne vélo de 500 places pour garer son vélo en sécurité,… Les collectivités proposent aussi des cours de vélo pour adultes (remise en selle) assurés par des professionnels.

Autre service apporté aux cyclistes : des arceaux pour le stationnement des vélos localisés de façon pertinente : à proximité de la gare SNCF, des magasins, et plus généralement des lieux accueillant du public.


L’essor du vélo à Chambéry doit beaucoup à un petit noyau de défenseurs du vélo au quotidien, regroupés dans l’association Roue Libre. Ce groupe s’est battu voici une trentaine d’années auprès des élus pour obtenir la continuité de la V63 en organisant nombre de manifestations. Très active avec quelque 600 adhérents et une centaine de bénévoles, Roue Libre est impliquée dans des actions multiples : action auprès des élus pour améliorer les aménagements cyclables, atelier vélo associatif (100 vélos remis en état et vendus chaque année), sensibilisation auprès des écoles, entreprises et collectivités, organisation de « VélOsons! », festival du voyage à vélo qui a lieu tous les deux ans à Chambéry et attire jusqu’à 4 000 visiteurs.
Pour évaluer l’impact des politiques cyclables, les collectivités territoriales ont implanté des dispositifs de mesure du trafic vélo. Le totem implanté à cette fin dans Chambéry au bord de la V63 avait été choisi il y a quelques années à une époque où le flux attendu était de l’ordre de 300 ou 400 000 cyclistes par an. En 2021 on a dépassé 600 000 passages par an – limite du compteur- , et il en sera sans doute de même en 2022. Le trafic dépassait 2500 vélos par jour à la fin de l’été 2022. Par rapport au Val de Marne ces chiffres sont au niveau des pistes cyclables les plus fréquentées à proximité de Paris (EV3 à Ivry) et bien au-dessus de la fréquentation observée en moyenne couronne (Créteil, Choisy, Joinville,…).

Un autre signe de l’implication des collectivités territoriales ces dernières années est la mise en place de pistes cyclables temporaires (boulevard de la Colonne, Place Caffe,…) . Ces aménagements avaient déjà été envisagés avant la crise sanitaire de 2020-2021, qui a simplement anticipé leur mise en place. Leur succès, attesté par la hausse de la fréquentation, laisse penser qu’elle seront pérennisées quand le budget permettra la requalification de la voirie.

Une caractéristique appréciable du réseau chambérien est la qualité de la signalisation et du jalonnement. Les panneaux directionnels classiques à inscriptions vertes sur fond blanc sont disposés régulièrement le long de la V63. La signalisation au sol est largement utilisée pour guider les cyclistes et prévenir les automobilistes : pictogrammes vélos sur fond vert visibles de loin pour indiquer les pistes et bandes cyclables, chevrons dans la traversée des intersections, bandes discontinues indiquant les priorités. Aux intersections avec d’autres pistes cyclables des balises et des lignes pointillées au sol indiquent la priorité de la V63.

Dans une agglomération de la taille de Chambéry on trouve à tout moment un ou plusieurs chantiers impactant temporairement les pistes cyclables existantes (actuellement l’élargissement de l’autoroute A43 et la réfection de l’avenue des ducs de Savoie à Chambéry, entre autres). Dans ces cas, la préservation de la continuité cyclable est recherchée et si ce n’est pas possible, des itinéraires de déviation sont spécialement indiqués pour les vélos (panneaux jaunes à lettres noires). On ne voit nulle part le sinistre panneau « cycliste pieds à terre » commis par des ignorants du code de la route et de l’orthographe, qu’on rencontre si souvent dans le 94 !

Qui fait du vélo à Chambéry ? La part des femmes parmi les cyclistes semble proche de la moitié et les enfants sont nombreux à vélo. Si l’on en croit les spécialistes du sujet, ces critères indiquent que les cyclistes se sentent assez bien protégés dans l’ensemble. Tous les types d’usages sont représentés : le vélo-taf , à l’image d’un voisin qui fait l’aller-retour entre Chambéry le Bourget du Lac par la V63 et apprécie cette coupure dans son emploi du temps ; le vélo du quotidien pour de petits déplacements et démarches; le vélo des jeunes allant à l’école, au collège ou au lycée; le vélo utilitaire pour faire les courses avec sacoches ou vélo cargo; le transport d’enfant en carriole, en vélo cargo ou en « long tail »; les voyageurs à vélo reconnaissables sur la V63 avec leurs grosses sacoches et leur barda; le vélo loisir en famille; le vélo sportif dont les adeptes – hommes et femmes – arpentent les routes et chemins de montagne des massifs environnants (Bauges, Chartreuse) à vélo de route ou en VTT. Les vélos à assistance électrique et les trottinettes sont fréquents, mais pas plus qu’ailleurs.








Pour conclure, Chambéry est une agglomération où l’on observe un usage croissant et diversifié du vélo, même si la voiture reste de loin le principal mode de déplacement en-dehors du centre ancien. C’est le résultat d’un ensemble de mesures dont certaines sont surtout destinées aux piétons (zones piétonnes dans le centre, zones 20, plateaux surélevés aux intersections) et d’autres sont spécifiques aux cyclistes (réseau cyclable continu et bien signalé, traitement des intersections, services aux cyclistes, arceaux vélos bien situés, protection des cyclistes lors de travaux temporaires, etc.). Etalées sur plus de 40 ans, ces mesures représentent des dépenses raisonnables pour les collectivités locales. Elles ont parfois demandé un certain courage politique pour diminuer la place dévolue à la voiture individuelle. L’organisation dynamique des cyclistes locaux a certainement joué un rôle, et les élus successifs ont eu l’intelligence de ne pas détricoter le maillage des aménagements réalisés par leurs prédécesseurs.
Les bénéfices en sont multiples pour Chambéry : réduction de la pollution de l’air et du bruit, réduction de l’espace requis pour le stationnement, redynamisation et mise en valeur du centre ancien, attractivité de la cité. Par comparaison, on mesure le retard pris par le 94 ces dernières années en laissant tomber des aménagements piétons-vélos programmés de longue date (carrefour Pompadour, requalification de la D19 à Créteil), en s’abstenant de protéger les cyclistes pendant les travaux (ex. chantiers du Grand Paris Express à Champigny, St Maur, Créteil, Maisons Alfort,…), en laissant les véhicules motorisés envahir des zones 20 mal différenciées, en laissant des projets d’aménagement menacer des itinéraires cyclables existants (EV3 à Ivry et Vitry), en ne soutenant pas les efforts de la Région pour le RERV (ligne GC à Créteil, Saint-Maur), en créant des pistes cyclables temporaires dans l’urgence et en les supprimant aussi vite à la demande des automobilistes (Créteil, Saint-Maur, Kremlin-Bicêtre…). Les villes du Val-de-Marne feraient bien de s’inspirer plus souvent de ce qui réussit en province !
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